Gloire à l’Ancêtre Bernard Dadié : Hommage à un écrivain qui n’a cessé de vivre avec son temps
Bernard Binlin-Dadié qui signe : Bernard B. Dadié, et qui a eu cent ans en 2016, vient d’entrer au Royaume des Cieux! Oui, l’auteur du poème : « Je vous remercie, mon Dieu, de m’avoir créé Noir », du roman Climbié, dont le titre peut se traduire par : « demain », « peut-être », « qui sait ? », un récit de l’attente et de la formation d’une adolescence africaine sous la colonisation ; l’auteur de la comédie Monsieur Thôgô-gnini autrement dit : « Monsieur le chercheur de nom », emblématique de l’arrivisme africain, dont le succès populaire ne se dément pas, ou encore du drame historique Îles de Tempête , qui brosse les souffrances vécues par les esclaves de Saint-Domingue, a bel et bien tiré sa révérence le samedi 09 Mars 2019, à l’âge de cent trois ans, à Abidjan en Côte d’Ivoire.
Nous, membres de la diaspora ivoirienne opérant dans le monde académique universitaire d’Amérique, nous aurions subi la sanction de l’histoire et celle plus sévère de nos Ancêtres, si nous nous dérobions de notre obligation de soumission volontaire à l’élan universel de célébration de ce lieu de mémoire (inter)national qu’est notre Ancêtre vivant Bernard B. Dadié.
Déjà en 2014, nous avions organisé un panel sur le père-fondateur de la littérature ivoirienne écrite en Français à University of South Florida à Tampa, Floride, dans le cadre de la conférence de la section régionale de la MLA. Le panel initial était composé de trois professeurs de l’École Normale Supérieure d’Abidjan et de deux professeurs de la diaspora africaine d’origine ivoirienne, enseignant dans des universités américaines. La qualité des articles présentés a attisé notre intérêt à convertir les contributions d’articles en projet de livre qui serait notre modeste offrande à l’Ancêtre-vivant à l’occasion de la célébration de son centième anniversaire qui pointait à l’horizon 2016. Nous avons alors entrepris plusieurs voyages en Côte d’Ivoire pour rencontrer l’auteur et la Professeure Nicole Vincileoni, qui a enseigné des générations d’étudiants ivoiriens à l’École Normale Supérieure d’Abidjan. Parallèlement, à l’initiative d’enseignants ivoiriens des Universités Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody et de Bouaké, un colloque était organisé pour la célébration du centenaire et de l’œuvre de Dadié à l’Université de Bouaké. L’occasion nous était alors donnée d’inviter d’autres contributeurs au projet initial qui avait germiné à Tampa en Floride.
Grâce aux faveurs du bon Dieu et des Ancêtres, le produit fini, qui est la fusion des efforts des groupes de Bouaké et de Tampa, vient d’être publié aux Éditions l’Harmattan à Paris en France, un mois seulement avant la transition de notre Ancêtre Vivant. Les raisons qui motivaient l’hommage à l’Ancêtre de son vivant, restent plus que jamais valables, maintenant que sa vie est soumise à l’appréciation des survivants que nous sommes.
Pour paraphraser Séry Bailly, il a défié le temps, s’est dressé contre l’âge et c’est une leçon pour nous qui avons vieilli avant l’âge ! De plus, il condense le meilleur de toutes les valeurs humaines. En témoigne sa gestionnaire, Professeure Nicole Vincilioni, qui écrit, que Bernard Dadié a, toute sa vie, continué en chercheur de vérité et non en quêteur de « grand nom », à puiser, dans son commerce quotidien avec les hommes, en promeneur infatigable des « palais de la mémoire », en voyageur émérite des mots, dans le bruissement conjoint de la vie, de la conversation et de la méditation, à puiser journellement le secret de la longévité d’une vie hors du commun.
C’était l’agréable révélation, dès notre première rencontre, à son domicile. Il nous a reçus avec le sens de l’accueil de nos vieilles traditions ; parlait spontanément et avec précision de son expérience du monde, de l’Afrique, de l’Europe, de l’Amérique, des sujets d’actualité comme des sujets historiques tels que le temps colonial, l’indépendance, les années en prison, ses espoirs, ses échecs. Et ce, pendant des heures, et sous une chaleur accablante, bien sûr, sous la supervision de son médecin. Il recevait des délégations venues de partout, des membres de la famille, blaguait avec les travailleurs à son service, répondait à son téléphone portable qui ne cessait de sonner (oui, comme tout le monde, il était branché sur les nouvelles technologies), tout cela dans une ambiance qui nous faisait facilement oublier le poids de son âge. À notre seconde visite, presqu’un an après, il nous reconnaît, les bras ouverts, le grand sourire aux lèvres, cette fois-ci, sa femme avec qui il partage le bonheur conjugal depuis plus de soixante-dix ans à ses côtés, elle, dans sa chaise roulante : « Voilà mes amis et fils américains ! Apportez des chaises, et à boire pour qu’on leur demande les nouvelles ! » Deux semaines plus tard, nous le voyons, perché sur la table d’honneur dressée pour l’occasion, dans une salle surchauffée et grouillante de monde, à la cérémonie de signature d’une pétition internationale, qu’il parraine, pour la libération du Président Laurent Gbagbo qu’il considère comme un prisonnier politique de la France à la Cour Pénale Internationale.
L’auteur qui nous rassemble ici a écrit et beaucoup écrit, pour transmettre, pour nous léguer un riche patrimoine, ce qui est très important. Car il ne suffit pas d’avoir écrit, il faut surtout avoir transmis un produit de valeur. À la diversité et à la fécondité de cette œuvre s’ajoutent son antériorité dans les annales de la littérature ivoirienne d’expression française en plus de sa modernité, allons plus loin, de son actualité. En effet, Bernard Binlin Dadié est un Ancêtre Fondateur. Selon Bruno Gnaoulé Oupoh, auteur du livre La Littérature Ivoirienne[1], Bernard Dadié est littéralement, le père-fondateur de la littérature ivoirienne écrite d’expression française. Selon l’auteur, la pièce de théâtre Les Villes (1933) de Bernard Dadié constitue l’acte de naissance de la littérature ivoirienne écrite en langue française.
Á l’instar du personnage principal de son œuvre autobiographique Climbié, le parcours politique de Bernard Dadié trace la lente maturation de la conscience politique des « lettrés » de l’époque coloniale, maturation qui part de l’admiration du régime colonial à l’opposition farouche contre l’oppression et l’exploitation coloniales. Dadié ne dit-il pas lui-même, dans l’allocution qu’il prononce à l’occasion de la remise du prix Jaime Torres Bodet qu’il reçoit de l’Université de l’UNAM de Mexico, qu’après sa formation scolaire à William Ponty, il a choisi d’être commis de l’administration coloniale ? Une fonction qui le plaçait droit dans le tunnel de la fonction publique coloniale où le sort des fonctionnaires était d’« être des enseignants subalternes, des commis subalternes, des médecins subalternes », de dociles courroies de transmission d’un système colonial « civilisateur » ». C’est grâce à la plume, pour lui moyen et outil, cette arme miraculeuse, pour emprunter les termes de Césaire, qu’il a pu se sortir du tunnel de la fonction publique et donc du système colonial. En d’autres termes, comme Climbié, Bernard Dadié est passé d’admirateur à fossoyeur du régime colonial et de ses survivances postcoloniales.
De l’œuvre de Dadié, qui a fait la ronde autour du monde, se dégage un esprit de solidarité humaine, qui va continuer le combat de celui qui a voulu toute sa vie, livrer sans haine, la bataille contre toutes les formes d’impérialismes. À chaque membre des milles générations de Dadié qui composent sa communauté affective nationale et transnationale, notre Ancêtre aura donné sa part de feu,
Afin que ne s’éteigne la flamme,
Dans la suite infinie des saisons,
Où se relaient les générations[2].
Va Bernard Binlin-Dadié, la route est bonne, ta mission est accomplie !
Gloîre à l’Ancêtre Vivant désormais au Royaume éternel de nos Ancêtres : Repose en paix dans notre panthéon national et Africain.
Marc Papé, Saint Fisher College
Rochester, NY 21 Mars, 2019
Je vous remercie mon Dieu
de m’avoir créér Noir
Bernard Binlin Dadié: Author, Fighter, Truth-Teller of La Côte d’Ivoire and the Black World at Large
I was not surprised, but neither was I ready for that inevitable telephone call, March 9th: “Janis, c’est Michelle … Ça n’allait pas. Il est parti.” Silence. I felt our tears and she did, too. “Yako. Yako. Merci .… Okay. Embrace toute la famille pour moi. J’arrive.”
Summer, 1970 -- after my sophomore year at Fisk, I met Bernard Dadié, the poet who had written my very favorite poem studied in Dr. Pellow’s Black French class: Je vous remercie mon Dieu. De m’avoir créé Noir. My mother was among a group of Middle School teachers participating in a traveling seminar led by C. Eric Lincoln, et. al. It was designed to gather new material for “Africa Units” taught in public schools. She brought me along and Dadié would arrive on schedule: I was beyond myself with excitement. There was a translator, but I decided to pose my question that day in French, directly to Dadié, wanting to know more about the Rassemblement Démocratique Africain (RDA). After that, everything happened so quickly: people turned around; my mother told me to sit down; someone asked if anyone else had a question. Dadié stood there, cool with tinted lens and a smile that said, “I know you meant to say Rassemblement Démocratique Africain not Révolution Démocratique Africain.” I will always remember his wit: I don’t know the date but “Est-ce que tu seras avec nous?” (Will you be with us, or, on our side?) Oui! He broke the ice and opened the proverbial door.
Son of Enuayé Ouessan and Gabriel Binlin Dadié, Bernard Binlin Dadié was born in 1916 in Assinie, Côte d’Ivoire. Schooled first in ancestral Akan culture -- its art forms, ethics, histories, languages and religions -- Bernard Dadié kept one foot in the watered soil of La Côte d’Ivoire, his life and imagination reverberating throughout his mighty canon. Important scholarly attention to Bernard Dadié is well-inscribed in the history of our African Literature Association. Panels, roundtables, essays, readings, and discussions attest to the wide range and reach of his work across genres as well as the importance and power of his activism and foundational political work in the Pan-African RDA. The pen was Dadie’s weapon. His badge, the Carnet de Prison (Prison Notebook):
The women comrades have been sentenced … our first women
political detainees. This is a sign of the absolute allegiance of
women and men in the freedom struggle. This is a good sign. This is
the sign of our victory. (134)--My own translation
February 2019, GLOIRE À L'ANCÊTRE VIVANT: HOMMAGE À BERNARD DADIÉ, PÈRE-FONDATEUR DE LA LITTÉRATURE IVOIRIENNE D'EXPRESSION FRANÇAISE (Édition L’Harmattan), edited by Marc Adoux Papé and Vivian Uetto, appeared a few weeks before Dadié passed on. The essay collection is comprised of new interpretations and critical approaches to Dadié and his work by African literature scholars of the ALA and elsewhere. Noteworthy, too: Dadié enjoyed and practiced a cross-generation exchange of ideas. He knowledgeably participated in interviews and discussions for the book project with the editors and looked forward to its publication. As I complete literary translations of Béatrice du Congo and Iles de Tempête as well as a re-translation of Monsieur Thôgô-gnini, I am inspired by and grateful for Bernard Dadié’s trust and confidence .
Given recent headlines and discussions of Dadié circulating in print and on social media, I feel compelled to say here that Bernard Binlin Dadié was not of the Négritude school in France, not “a Négritude poet.” I am aware that this word, “negritude,” can carry a currency in “Black Lives Matter” contexts with its more generic meanings of blackness or “Blacknuss.” For sure, Dadié and his work convey the latter (which predates and operates independently of any school in France). Further, he was deeply involved in the Présence Africaine project as spelled out by Alioune Diop in the very first issue of the journal.
Bernard Dadié atttended the William Ponty school on Gorée Island in Senegal, imperially mapped as “Overseas France.” We know, whether in Paris or Dakar, the French colonial intent of schooling select Black students was always the same: to form an assimilated “educated” elite to work in the best interest of France. However, as the narrator Climbié recounts in Dadié’s autobiographical novel, he was labeled “agitator,” “unassimilable,” “indigestible” in French colonial schools -- at every level.
Remembering Bernard Dadié I am enlivened by his wit; his illuminating reach across time and into diasporic spaces throughout the Black world ; the fact that he never sold out; and his savoir faire to keep on keeping on for 103 years. Bernard Binlin Dadié, Chèr Papa: La Route est bonne …
Your tracks are clear … Here is the poem that opens The Black Book, the ground-breaking project of the young Random House editor, Toni Morrison (1:1974)
“I was there when the Angel
drove out the Ancestor
I was there when the waters
consumed the mountains …”
-- Bernard Dadié
Janis A. Mayes
Syracuse University